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Cette problématique du Halal nous amène aussi à une réflexion qui est beaucoup plus large. a08-gde-distribution-ok.jpgC’est impressionnant de se rendre compte comment la question apparemment anodine de la consommation de la viande Halal peut nous amener à la question de notre rapport à l’Islam et à ses Textes.

Partie 2/2

 Pour l’Union française des consommateurs musulmans (UFCM)

Yamin Makri, Lyon le 18/01/2013

 

Une commercialisation compatible au Halal ?

 

Après les conditions d’élevage et après les méthodes d’abattage, on peut se poser aussi des questions sur les circuits de la commercialisation de la viande dite « Halal ». En particulier pour les hypermarchés qui posent aussi leurs propres conditions.

 

Lorsqu’on décide de collaborer avec la grande distribution, le producteur est soumis à de multiples contraintes. Et la première d’entre elles est l’obligation de fournir toutes les quantités commandées. Nous le voyons bien pour le cas Isla Delice qui, suite à la rupture de contrat d’AVS avec l’abattoir, ne peut plus fabriquer sous la certification AVS et donc répondre aux demandes. Isla Delice se trouve contractuellement dans l’obligation de payer de lourdes pénalités financières à la grande distribution.

 

Pour M. Herzog, deux possibilités s’offrent à lui :

 

– Poursuivre avec AVS (et trouver un autre abattoir) tout en supportant le fait de ne plus pouvoir fournir les grandes surfaces, au moins temporairement. C’est le choix de la fidélité et de la transparence vis-à-vis de tous les consommateurs musulmans qui lui ont fait confiance.

 

– Ou alors poursuivre sa production (et rompre avec AVS) tout en prenant le risque de pratiquer l’électronarcose que lui impose cet abattoir ; en espérant que ses clients musulmans, dupés, lui resteront fidèles. C’est le choix de l’argent, d’abord.

 

Pour Isla Delice qui n’est que dans une logique purement commerciale, le choix est vite fait. Les grandes surfaces imposent leur cadre et il n’était pas question de perdre sa crédibilité commerciale face à ceux qui détiennent le monopole de la grande distribution. Il est beaucoup plus profitable de se soumettre aux conditions de l’abattage industriel même si les prescriptions religieuses ne sont plus respectées. Il suffira simplement de dénicher un autre organisme de contrôle moins scrupuleux et qui accepte l’électronarcose.

 

a09-halal-gde-distribution-ok.jpgCar seule l’électronarcose est compatible avec cet abattage industriel de masse issu d’un élevage industriel de masse, destinée à la grande distribution de masse, pour une surconsommation de masse. Car une viande bon marché avec une faible marge reste encore profitable qu’à la seule condition qu’elle soit vendue en très grande quantité, même aux dépens de la santé des consommateurs ou du bien-être animal.

 

C’est la raison profonde pour laquelle on ne pourra jamais dissocier la question de l’abattage Halal de ces deux problématiques :

– en amont, des conditions de l’élevage industriel incompatible avec l’éthique islamique,

– et plus en aval, du cadre trop contraignant de la grande distribution qui impose sa manière de consommer.

 

Les institutions politiques contre le Halal pour détourner les esprits

 

La production et la commercialisation des viandes resteront toujours quelque chose de très particulier pour les musulmans car il s’agit d’êtres vivants. Et on ne peut pas traiter une créature sensible comme une simple marchandise même si on en fait commerce. C’est pourquoi le culte musulman réglemente l’abattage et la consommation des viandes de manière très pointilleuse. Et il n’est évidemment pas question pour un musulman de soumettre son cadre juridique (fiqh) et éthique (akhlâq) aux impératifs industriels et commerciales. Les musulmans, au nom de leur foi, ne peuvent que dénoncer les conditions d’élevage, la maltraitance animale généralisée dans les abattoirs comme la surconsommation des viandes et son impact écologique.

 

Mais il faut aussi dénoncer ceux qui s’emploient à mettre à l’index l’abattage rituel sous le prétexte fallacieux que saigner un animal le ferait plus souffrir que l’électrocuter ou lui défoncer la boite crânienne (comme ils le font pour « assommer » les bovins).

 

Une directive européenne rend l’abattage rituel avec électronarcose harâm

 

Depuis le 1er janvier 2013, pour tous les abattoirs qui appliquent l’électronarcose, la nouvelle règlementation européenne N° 1099/2009/CEE [1] impose un voltage très élevé. Ils appellent cela un « étourdissement préalable par électronarcose », mais ce prétendu « étourdissement » ou « assommage » n’étourdit pas et n’assomme pas. Il tue. L’objectif est donc bien de s’assurer que cette électrocution tuera la bête avant qu’elle soit saignée.

 

Cela veut tout simplement dire que toute la volaille abattue en France (et en U. E.) avec électronarcose ne peut plus être considéré comme Halal, avec, cette fois-ci, l’unanimité de tous les Savants musulmans.

 

Et les abattoirs qui décideront de contrevenir à la directive européenne en diminuant le voltage des bains électrifiés (comme le pratiquent certains organismes de contrôle musulman) se trouveront alors dans l’illégalité.

 

Une directive nationale rend l’abattage rituel sans électronarcose plus difficile à réaliser

 

Une directive nationale du 28 décembre 2011[2] (entré en application le 8 mars 2012)limite le nombre d’abattoirs autorisés à effectuer un abattage rituel. Il oblige aussi tous les sites qui effectueront de l’abattage rituel sans électronarcose à utiliser des appareils de contention pour immobiliser les volailles. Cela oblige les abattoirs à s’équiper et cela a évidemment un coût. On voit mal ces industriels s’engager dans ces dépenses. Ils feront donc tout pour faire plier les acteurs du marché du Halal afin qu’ils acceptent leurs conditions de production avec électronarcose, comme nous l’a prouvé l’affaire Isla Delice.

 

Faire disparaitre l’abattage « Halal »

 

C’est donc l’abattage rituel musulman qu’ils veulent faire disparaître, à terme. C’est le non-dit de toutes ces directives européennes et nationales. En fait, nous sommes dans la continuité de toutes ces autres lois discriminatoires, spécifiquement orientées contre la communauté musulmane.

 

Hypocritement, ils invoquent la supposée maltraitance animale, qu’eux-mêmes ne respectent pas. Et en fait, ils ne font qu’obéir aux lobbies industriels qui lorgnent vers ce marché mondial du Halal qu’ils voudraient soumettre à l’unique critère de la rentabilité.

 

Ce type de directives, européennes ou nationales, va donc encore stigmatiser une communauté tout en manipulant les esprits, à travers un double discours :

 

– d’un côté, les grands médias, avec la complicité d’islamophobes notoires, occupent l’opinion publique en parlant de maltraitance dont serait responsable l’abattage Halal. On détourne ainsi les esprits des horreurs que constitue le quotidien de tous les centres industriels de production de masse des viandes, de l’élevage à l’abattage. Il n’y a rien de nouveau dans cette manière d’agir des politiques et de leurs relais médiatiques ; on manipule la question de l’Islam pour éviter d’aborder les vraies questions.

 

– d’un autre côté, les acteurs économiques de ce marché, avec le soutien des institutions politiques nationales et européennes, sont en train d’œuvrer dans l’ombre. Profitant du manque d’information dans la communauté et de l’opacité de ce marché, ils tentent de soumettre les règles de l’abattage rituel aux seules logiques de la productivité et du profit.

 

a10-malbouffe.jpgÀ terme, ce ne sera que la présence du tampon de telle ou telle grande mosquée ayant les faveurs d’un État complice qui spécifiera le caractère dit « Halal » d’un produit carné. Le respect des règles religieuses et la prise en compte des impératifs de l’éthique islamique seront encore plus négligés qu’ils ne le sont actuellement. Nous aurons un marché du Halal peut-être mieux structuré mais sous les seuls critères de la rentabilité comme le reste de l’économie agro-alimentaire mondiale. Ni éthique, ni référence réelle à une norme religieuse quelle qu’elle soit, que l’argent et le bénéfice.

 

C’est l’Islam des étiquettes sans éthique, sans foi ni loi, au service du marché et des intérêts de quelques-uns. On préserve l’apparence du tampon Halal, tout en lui retirant tout le sens de sa présence, toute l’essence du message qu’il devrait véhiculer.

 

Il est vrai que nous ne pouvons pas continuer à accepter cette situation ni nous contenter de nous y adapter. À partir de ce qui a été dit, nous pouvons déjà tirer ces quelques enseignements de base qui peuvent nous aider dans notre volonté à changer progressivement cette réalité :

 

– 1/ La production de viandes Halal dans des grosses unités d’élevage ou d’abattage n’est pas réalisable. Élever et abattre autant de bêtes en respectant à la fois notre éthique et nos règles islamiques, tout en répondant à leurs critères de rentabilité, est du domaine de l’impossible. En Islam, avant d’être un morceau de viande et une marchandise à valoriser, un animal est d’abord une créature de Dieu douée d’une sensibilité que nous devons respecter.

 

a11-Quick-ok-copie-1.jpg– 2/ La commercialisation des produits Halal à travers les enseignes de la grande distribution pose question. Les grandes surfaces, du fait de leur position dominante, sont un véritable problème pour tout producteur qui voudrait garder son indépendance dans l’élaboration de son produit. Les grandes surfaces imposent déjà des prix bas avec de faibles marges. Et nous avons vu que le fait de transformer la viande en un produit bon marché de grande consommation, n’est pas compatible à une production avec des cadences beaucoup plus lentes permettant à la fois le « bien-être » animal et le respect des règles islamiques. Les grandes surfaces imposent aussi un flux important et tendu qui n’est possible qu’à travers une production industrielle de masse, elle-même difficilement compatible avec les critères du rite musulman.

 

Aujourd’hui, certaines grandes enseignes, profitant de leur situation commerciale hégémonique, essaient même de produire sous leur propre certification Halal sans qu’elles jugent nécessaire la présence d’un organisme de contrôle musulman. On en arrive à cette situation aberrante où ils pensent pouvoir tout se permettre. À terme, le monopole de grandes surfaces est incompatible avec la notion d’un contrôle indépendant du Halal.

 

– 3/ La gestion de la question du Halal par les seules institutions politiques (État, Europe) est à reconsidérer. Il existe différentes commissions (nationales ou européennes) où on discute de la question du Halal. Les rares voix musulmanes qui y sont présentes sont rarement entendues, ni d’ailleurs les autres acteurs de la société civile, ni même les représentants politiques qui, souvent, ne maîtrisent que superficiellement la question. En fait, ce sont finalement les lobbies industriels du marché agro-alimentaire qui imposent aux politiques leurs visions.

 

Dans ce contexte, où les acteurs politiques ne sont que les exécutants d’intérêts privés, il faut établir des contre-pouvoirs efficaces et donner une place décisive aux acteurs de la société civile, en particulier les organisations de défense de la protection animale, les associations de consommateurs, les organismes indépendants de contrôle, etc.

 

La question fondamentale du fiqh et de l’éthique

 

Cette problématique du Halal nous amène aussi à une réflexion qui est beaucoup plus large. C’est impressionnant de se rendre compte comment la question apparemment anodine de la consommation de la viande Halal peut nous amener à la question de notre rapport à l’Islam et à ses Textes.

 

En effet, dans le cadre de nos activités, nous avons souvent été amenés à alerter tous les acteurs musulmans de la chaîne du Halal (du producteur au consommateur, en passant par les organismes de contrôle) sur le fait que nous devons tenir compte des considérations éthiques dans notre manière de produire et de consommer les viandes.

 

Souvent, nombre de ces acteurs, exaspérés par un marché totalement anarchique, considéraient que l’importance était d’être conforme aux règles très techniques du fiqh pour avoir une viande réellement Halal et disponible pour toute la communauté. C’était effectivement l’urgence mais était-ce le plus important ?

 

Le respect des règles éthiques (maltraitance animale, surconsommation…) était considéré comme un luxe, peut être légitime, mais pas le plus important dans notre contexte d’un marché aussi désorganisé. Pourtant si on se réfère à nos valeurs islamiques, c’est essentiel ; même si on peut tout à fait comprendre que ce ne soit pas une urgence dans certaines situations.

 

Comme souvent, on confondait ce qui était légitimement urgent et ce qui était islamiquement important. Et la dictature de l’urgence, nous fait oublier le sens des règles juridiques (fiqh) qui ne sont là que pour exprimer et encadrer notre éthique.

 

Il ne faut donc pas opposer le respect des règles (le fiqh) et le cadre de l’éthique (akhlaq). Toutes les deux islamiques, elles sont toutes les deux essentielles. Et si on tente de les dissocier ou de délaisser l’une au profit de l’autre, c’est finalement pour les trahir toutes les deux.

 

Pour conclure, cette question très spécifique de la consommation des viandes doit nous obliger à nous interroger et à nous poser ces questions cruciales d’ordres générales :

 

– La question philosophique : Peut-on considérer les animaux, ces êtres vivants doués d’une sensibilité comme une marchandise comme une autre ? N’ont-ils pas aussi des droits comme les Hommes peuvent en avoir ?

 

– La question économique : Quand il s’agit de la manipulation et la commercialisation d’êtres vivants, la seule logique du profit doit-elle prédominer ? Ne doit-on pas poser des limites, au nom de notre humanité et/ou de notre foi ?

 

– La question de la justice sociale : La surconsommation des viandes dans les pays occidentaux mais aussi dans certaines grandes capitales du Sud sont en grande partie responsables du prix trop élevé des céréales sur le marché mondial et donc de la sous-alimentation dans le monde. Car s’il faut de plus en plus de bétail pour la consommation humaine, il faut également cultiver de plus en plus de végétaux pour nourrir ce bétail, et donc de plus en plus d’eau, de terres arables et d’engrais pour faire pousser ces végétaux. Il faut savoir que la grande majorité de terres cultivées en France sont destinés à produire des aliments pour bétail.

 

– La question sanitaire : Cette surconsommation est entrain de rendre malade les populations du Nord (obésité, cancer du côlon, surinfection à l’E. Coli) tout en affamant celles du Sud.

 

– La question écologique : La déforestation de l’Amazonie en particulier, véritable poumon de la planète, se fait dans le seul objectif d’accaparer de nouvelles terres pour cultiver des céréales destinées au bétail. Et la concentration de centaines de milliers de bovins en élevage extensif cause plus de dégâts sur la couche d’ozone que la circulation automobile.

 

Que faire ?

 

Devant cette situation, il est possible d’agir et de prendre nos responsabilités, individuellement et collectivement, qu’on soit acteur du Halal ou simple consommateur :

 

– 1/ Tout d’abord, il faut prendre conscience qu’il ne faut jamais opposer le strict respect des règles islamiques de l’abattage à notre vision éthique qui dépasse largement la question de l’abattage. Cela veut dire, que devant Dieu et seulement pour Lui, il faut refuser toutes les viandes abattues avec électronarcose. Ce n’est pas un détail. Mais cela veut dire aussi qu’il faut privilégier les produits fermiers ou bios, plus sains et plus respectueux des animaux. Ce n’est pas non plus un détail.

 

– 2/ Il faut ensuite prendre conscience qu’il faut consommer moins… de viandes, mêmes Halal. Respecter l’esprit du Halal dans notre contexte, c’est diminuer très significativement sa consommation. Si toute la communauté musulmane de France ne devait consommer que de la viande « techniquement » Halal (et on en est encore très loin), ce serait de toute manière impossible de produire une telle quantité de viande Halal sans entasser les animaux, les adapter de force par des mutilations et à des conditions de vie insupportables.

 

– 3/ Au niveau plus collectif, il faut s’organiser en tant que consommateur musulman et établir un véritable rapport de force face à ces logiques du profit. Il faut faire respecter notre rituel islamique face aux institutions politiques trop soumises aux logiques industrielles.

 

– 4/ Au niveau local, il faut encourager tous les projets de proximité, avec des musulmans ou non, qui privilégient les circuits courts de distribution. Il faut aider et promouvoir les unités d’élevage ou d’abattage à taille humaine, afin de produire et consommer responsables… et donc halâl.

 

Pour aller plus loin :

·         Les chiffres de l’abattage rituel

·         Abattage rituel : Dossier de presse

·         Expertise de l’INRA sur la douleur animale

·         Site de l’Union française des consommateurs musulmans : http://www.ufcm.fr/

Existera-t-il encore du Halal en France ? (2/2)
Tag(s) : #Réflexions
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